Le premier chapitre des chroniques de MacKayla Lane - Tome 5 : Shadow Fever
Le premier chapitre des chroniques de MacKayla Lane
Tome 5 : Shadow Fever
traduit par Cralana, membre de l'équipe du forum
And the reality
Between the motion
And the act
Falls the Shadow
_ T.S Eliot
I feel it deep within
It's just beneath the skin
I must confess that I feel like
a monster.
_ SKILLET, " MONSTER "
Conversations avec le SINSAR DUBH.
Tu m'accuses d'illusions. Toi - avec ta construction absurde du temps linéaire. Tu te fabriques une prison de montres, d'horloges, et de calendriers. Tu entrechoques des barres forgées d'heures et de jours, mais tu as verrouillé la porte avec le présent, le passé, et le futur. Les personnes chétives n'ont besoin que de grottes piteuses.
Tu ne peux regarder plus longtemps sur le vrai visage du temps que tu ne peux voir le mien. Pour que tu te comprennes comme le centre, que tu perçoives simultanément toutes les combinaisons de tous les possibles, tu devras choisir d'avancer vers des directions - "Direction" être une méthode très limitée d'entreprendre à communiquer un concept pour lequel votre race n'a aucun mot - c'est ce qu'est être moi.
Quelqu’un de très intelligent me l’a dit une fois.
Chaque fois que je crois devenir plus sage, avoir le contrôle de mes actes, je me retrouve brusquement dans une situation qui me fait prendre conscience de façon atroce, que tout ce que j’avais réussi à faire n’était qu’échanger une série d’illusions pour une plus élaborée, plus attirante – c’est moi la Reine de la Désillusion.
En ce moment je me hais. Plus que je n’aurais pu y croire.
Je suis accroupie au bord de la falaise, criant, maudissant le jour de ma naissance, souhaitant que ma mère biologique m’eût noyée dès ma naissance. La vie est trop dure, beaucoup trop dure à supporter. Personne ne m’avait prévenu qu’il y aurait des jours comme ça. Comment ont-ils pu me laisser vivre dans l’ignorance ? En ne me disant pas que je devrais m’attendre à des jours pareils ? Comment ont-ils pu me laisser grandir comme ça – heureuse, habillée de rose et aussi stupide ?
La douleur que je ressens est pire que tout ce que le Sinsar Duhb m’avait infligé. Au moins quand je souffre de son emprise, je sais que ce n’est pas de ma faute. Cette fois ?
Mea Culpa. Tout le long, du début jusqu’à la fin, j’étais fautive et rien ne pourrait prouver le contraire.
Comme j’étais ignorante. Il m’avait prévenu. J’avais tellement plus à perdre !
Je veux mourir.
C’est la seule façon d’arrêter la souffrance.
Quelques mois plutôt, lors d’une nuit infernale dans une grotte sous la Burren, je voulais mourir, mais ce n’était pas pareil. Mallucé allait me torturer à mort, et mourir était la seule chance qui me restait d’éviter de prendre part à son plaisir tordu. Ma mort semblait inévitable.
J’avais eu tort. J’avais abandonné l’espoir et faillit mourir à cause de ça.
Je serais morte – si ce n'était pour Jéricho Barrons.
Il est celui qui m’a enseigné ces mots. Ce simple adage est maître dans toutes situations, tout choix. Chaque matin, dès notre réveil, nous devons choisir entre l’espoir et la peur et appliquer l’une de ces émotions dans tout ce que l’on fait. Accueillons-nous les choses qui passent sur notre chemin avec joie ? Ou avec suspicion ?
L’espoir donne des ailes …
J’arrête de crier et commence à rire. J’entends la folie à travers.
Je m’en fiche.
Ma lance se dresse, cruel javelot, se moquant de moi. Je me souviens du jour où je l’ai volée.
Pendant un instant, je me revois dans les rues sombres et glissantes de pluie à Dublin, en train de descendre dans le réseau d’égouts avec Barrons, entrant par effraction dans la cachette des artefacts religieux de Rocky O’Bannion. Barrons porte un jean et un T-shirt noir. Les muscles saillent de son corps tandis qu’il soulève la plaque d’égout avec la facilité d’un homme lançant un frisbee dans un parc. Il est sexuellement troublant, que ce soit pour les femmes comme pour les hommes, d’une manière qui vous laisse sur les dents.
Je n’ai jamais été immunisée contre lui. Il y avait simplement des degrés de déni.
Mon répit est de courte durée. Les souvenirs s’évanouissent et je suis de nouveau confrontée à la réalité qui menace de briser le contrôle de mon équilibre mental.
La peur tue…
Littéralement.
Je n’arrive pas à le dire. Je ne peux pas y croire.
Je ne peux pas commencer à accepter.
J’entoure mes genoux avec mes bras et me berce.
Jéricho Barrons est mort.
La question à un million de dollars : Qu’êtes-vous donc, Barrons ? Sa réponse, dans les rares occasions où il en donnait une, était toujours la même.
« Celui qui ne vous laissera jamais mourir. »
Je l’avais cru. Qu’il soit maudit.
-Eh bien, vous avez tout fichu en l’air, Barrons. Je me retrouve seule et j’ai de sérieux problèmes, alors debout !
Il ne bouge pas. Il y a trop de sang. Je fais appel à mes sens Sidhe-seer. Je ne sens que ma présence au bord de cette falaise.
Je crie.
Pas la peine de se demander pourquoi il m’avait dit de ne jamais appeler le numéro qu’il avait programmé dans mon téléphone, SVEETDM-Si Vous Etes En train De Mourir- à moins que ce ne soit le cas.
Au bout d’un moment, je recommence à rire. Ce n’est pas lui. C’est moi qui ai tout foutu en l’air. Avais-je joué un rôle ou planifié ce fiasco ?
Je pensais que Barrons était invincible.
Je continue d’espérer qu’il va se mettre à bouger. Qu’il va se retourner. S’asseoir. Guérir comme par magie. Me donner un de ses regards durs et coupants signifiant,
Accrochez-vous Mademoiselle Lane. Je suis le roi Unseelie, je ne peux pas mourir.
-Debout, Barrons ! Criais-je. Bougez, soyez maudit !
J’ai peur de le toucher. Peur de sentir qu’il se soit déjà refroidi. Je sentirai sa peau fragile qui faisait de Barrons un mortel. « Fragile » et « mortel » assemblés dans une seule et même pensée était tout aussi blasphématoire que de clouer des croix à l’envers sur les murs du Vatican.
Je m’éloigne de dix pas de son corps et m’accroupis.
Je reste en arrière parce que si je suis trop près, je devrai le retourner et regarder dans ses yeux, et s’ils étaient vides comme ceux d’Alina ?
Alors, je saurai qu’il était vraiment parti, comme j’avais su qu’elle était partie, trop loin même pour qu’elle puisse entendre une nouvelle fois ma voix, m’entendre dire, Je suis désolée, Alina, je souhaite t’avoir appelé plus souvent ; avoir connu la vérité à travers nos discussions insipides entre sœurs ; je souhaite être venue à Dublin et avoir combattu à tes côtés, ou m’être enragée après toi d’avoir agit par peur, aussi Alina, tu m’aurais fait confiance pour t’aider si tu avais agit avec espoir. Ou peut-être juste m’excuser, Barrons, d’avoir été trop jeune pour réduire mes priorités, comme vous, parce que je n’ai pas vécu l’enfer que vous avez subi, et ensuite, vous pousser contre le mur et vous embrasser jusqu’à ce que vous ne puissiez plus respirer, de faire ce que je voulais faire la première fois que je vous ai vu dans votre saleté de librairie.
J’aurais voulu vous troubler comme vous me troubliez, que vous me voyiez, que vous me désiriez ! J’aurais souhaité briser votre self-contrôle, réussir à vous faire mettre à genoux devant moi, même si je m’étais dit que jamais je ne voudrais d’un homme tel que vous, que vous étiez trop vieux, trop charnel, plus animal qu’humain, la vérité était que j’étais terrifiée de ce que vous me faisiez ressentir.
Je crois que je vais crier jusqu’à ce qu’il se lève. Il était celui à m’avoir dit de ne pas croire que quelqu’un était mort tant qu’on ne l’avait pas brûlé, et qu’on avait écrasé ses cendres, puis attendu un ou deux jours pour vérifier que rien ne s’en élevait. Je n’étais certainement pas supposée le brûler.
Je ne pense pas qu’il y ait des circonstances pour lesquelles je le ferais.
Je m’accroupirai.
Je crierai.
Il se lèvera. Il déteste quand je deviens mélodramatique.
Pendant que j’attends qu’il reprenne connaissance, j’essaye de voir si j’entends quelqu’un fouiller le bord de la falaise. Je m’attends presque à voir Ryodan trainer son corps brisé, ensanglanté par-dessus bord. Peut-être qu’il n’est pas non plus réellement mort. Après tout, on est à Faery, peut-être, ou du moins à l’intérieur du réseau des Mirroirs, qui sait quel royaume c'était ? L’eau d’ici pourrait-elle avoir des pouvoirs de régénération ? Devais-je essayer de le tremper dedans ? Mais peut-être étais-je en train de rêver et tout ce qui c’est passé n’était qu’un cauchemar, et que je vais me réveiller dans un des canapés de la librairie Barrons-Bouquins et Bibelots et que l’illustre, exaspérant propriétaire lèvera un sourcil et me donnera un de ses regards ; je dirai quelque chose de concis, la vie sera belle, archipleine de monstres et de pluies, juste comme je l’aime.
Je m’accroupis.
Personne ne gratte les pierres ou le bitume.
L’homme avec la lance dans le dos ne bouge pas.
Mon cœur est troué de part en part.
Bon sang, mais pourquoi ferait-il ça ?
Comment je fais pour vivre avec ça ?
Une terrible pensée m'apparut, si affreuse que pendant quelques instants elle remplace mon chagrin : je ne l’aurais jamais tué si Ryodan n’était pas apparu. L’avait-il déjà planifié ? Était-il venu ici pour tuer Barrons, qui n’avait jamais été invincible, mais simplement difficile à tuer ? Peut-être que Barrons ne pouvait être tué que sous sa forme animale, et Ryodan savait qu’il devait être sous cette forme pour me protéger. Était-ce une ruse organisée qui n’avait rien à voir avec moi? Ryodan travaillait-il avec le HS, voulait-il que Barrons soit hors-circuit pour qu’ils s’occupent plus facilement de moi, et que l’enlèvement de mes parents n’avait été en fait qu’un tour de passe-passe?
Regarde là-bas pendant que nous tuons l’homme qui nous menace tous.
- Oh, mais attendez, c’est ce que j’ai fais. A cause de Ryodan, je m’étais détournée de lui.
Le regard accusateur de trahison de la bête n’avait pas été une illusion. Ça avait été Jéricho Barrons, me regardant derrière ses sourcils préhistoriques, montrant les crocs, les reproches et la haine se reflétant dans ses yeux jaunes, sauvages. J’avais brisé notre pacte inexprimé. Il avait été mon démon-gardien et je l’avais tué.
M’avait-il méprisé de ne pas l’avoir reconnu sous sa forme animale ?
Regardez-moi. Combien de fois m’avait-il dit cela? Voyez-moi quand vous me regardez !
Je l’avais laissé tomber.
Il était venu à moi sous une forme inhumaine et barbare, pour me garder en vie. Il s’était mis au compte de SVEETDM en se contrefichant de ce que ça lui coûterait, sachant qu’il se transformerait en une bête furieuse, sans âme, capable seulement de tuer tout ce qui passait sur son passage, excepté une seule chose.
Moi.
Dieu, ce regard !
Je me couvre le visage de mes mains, mais l’image ne veut pas partir : la bête primitive et Barrons, sa peau sombre et son visage exotique, son pelage gris ardoise. Ces anciens yeux qui avaient tant vu et demandaient à être vu en retour brûlants de mépris:
N’auriez-vous pas pu me faire confiance juste une fois? Espérer le meilleur juste une fois? Pourquoi avoir choisit Ryodan au lieu de moi? Je vous gardais en vie. J’avais un plan. Vous ai-je jamais laissé tomber?
Je me creuse les paumes avec mes ongles. Elles saignent un moment et se guérissent.
Mais la bête/Barrons dans ma tête n’en avait pas fini avec moi.
Vous auriez dû. J’ai prit votre pull. Je vous ai senti et vous ai accordé le droit de passages. J’ai tué pour vous offrir de la chair fraîche et tendre. J’ai pissé autour de vous. Je me suis montré à vous sous cette forme, comme dans l’autre, je vous ai prouvé que vous m’apparteniez et je prends soin de ce qui m’appartient.
Des choses comme : selon Ryodan (s’il n’est pas un traître et s’il est, d’une certaine façon, toujours en vie, je le tuerai de la même manière qu’on a tué Barrons), j’ai une marque à l’arrière de mon crâne placée là par le Haut-Seigneur, qui tient probablement encore mes parents, parce que Barrons est ici, donc évidemment il n’a jamais rejoint Ashford.
A moins que … le temps passe différemment dans les Mirroirs et il a eu le temps d’aller à Ashford avant que je n’appuie sur SVTEEDM, l’appelant ici jusqu’à la septième dimension dans laquelle j’étais après être entrée dans le couloir rose, sombre et humide à Dublin.
Une fois, j’ai passé un simple après-midi au bord d’une plage en Faery, une courtoisie venant de V’lane, avec une illusion de ma sœur, et cela m’avait coûté un mois entier dans le monde des humains. A mon retour, Barrons était furieux. Il m’avait enchainé à une poutre dans son garage. Je portais un sexy bikini string rose.
Nous nous somme battus.
Je ferme les yeux et embrasse le souvenir. Il est là debout, furieux, entouré d’aiguilles et de flacons d’encre, sur le point de me tatouer, ou plus exactement, faisant semblant de vouloir me tatouer là où il m’avait déjà tatoué et que je n’avais pas encore remarqué -pour qu’il puisse me trouver si jamais je décide de faire quelque chose d’aussi stupide que d’accepter de rester en Faery n’importe quand une nouvelle fois. Je lui dis que s’il me tatoue, je m’en vais. Je l’accuse de ne jamais rien ressentir à part du mépris et de l’avidité, d’être incapable d’aimer. Je le traite de mercenaire, lui reproche d’avoir mis à sac le magasin en perdant son calme alors qu’il ne pouvait pas me trouver, et bien que je lui concède qu’il pourrait avoir une occasionnelle érection -c’est indubitablement pour quelque chose comme de l’argent, un artefact ou un livre - jamais pour une femme.
Je me rappelle sa réponse au mot près :
J’ai aimé, Mademoiselle Lane, et même si cela ne vous regarde pas, sachez que j’ai perdu. Bien plus que vous ne pouvez l’imaginer. Je ne suis pas comme mes concurrents, et encore moins comme V’lane. Quant à mes érections, je vous rassure, elles n’ont rien d’occasionnel. Il arrive même que ce soit pour une gamine insolente qui n’a rien d’une femme. Dernier point, c’est moi qui ait tout cassé au magasin, en ne vous trouvant pas. Vous devrez d’ailleurs vous choisir une nouvelle chambre, la votre est inutilisable. Je suis navré que votre gentille petite vie ait été chamboulée, mais vous n’êtes pas seule dans ce cas et il faut bien continuer. Alors autant vous adapter.
Je suis là, enchainée à une poutre, à moitié nue, seule avec Jéricho Barrons, un homme qui est loin au-delà de ma compréhension, mais, Dieu, qu’est-ce qu’il m’excite! Il a l’intention de travailler doucement et avec soin sur ma peau nue pendant des heures. Son corps robuste, aux nombreux tatouages, est une promesse silencieuse d’une entrée dans un monde secret où je pourrais ressentir des choses dont je n’ai même pas idées, et je veux qu’il travaille sur moi pendant des heures.
Quel sentiment ridicule, self-destructeur et compliqué! Etre effrayée de demander ce que l’on veut. Avoir peur d’admettre ce que l’on ressent, ses propres désirs. Ces désirs qui était nés à force d’apprendre et pas de façon naturelle. J’étais arrivée à Dublin enchainée à mon désir de retrouver le meurtrier de ma sœur. Un sentiment que j’avais acquit, je vivais à travers l’éducation de mes parents. Je n’étais qu’acquis. Lui n’était que nature - il essayait de m’apprendre à changer, d’agir plutôt que de me demander ce que mes parents penseraient. L’action prévalait.
Comme je disais : des degrés de déni.
Il s’était plaqué contre moi, dans ce garage, contenant à peine sa violence, expirant le sexe, et quand j’avais senti le poids d’une érection certaine, je m’étais soudain sentie si vivante et sauvage à l’intérieur de moi que plus tard j’avais dû m’occuper de moi-même sous la douche après avoir enlevé mon bikini, encore et encore, fantasmant sur ce qui aurait pu se passer dans ce garage. Un fantasme qui, réel, aurait duré toute la nuit. Je m’étais dit que c’était à cause de ma journée passée auprès d’un Faë de volupté fatale. Un autre mensonge.
Il m’avait ôté mes chaines et m’avait laissé partir.
Aujourd’hui, si je serais enchainée à cette poutre, je n’aurais aucun problème pour lui dire ce que je voudrais. Et ça n’impliquerait en aucun cas qu’il me libère de mes chaines. Du moins pas au début.
J’essaye de voir à travers mes larmes.
De l’herbe. Des arbres. Lui.
Il est allongé face contre terre.
J’ai besoin d’aller vers lui. La terre est humide, gadouilleuse en raison de la pluie tombée hier soir et de son sang.
Je dois le nettoyer. Il ne devrait pas être sale. Barrons n’aime pas se négliger. Il est méticuleux ; il s’habille de façon classe et sophistiquée. Bien qu’il me soit arrivé d’épousseter son revers quelques fois, c’était uniquement une excuse pour pouvoir le toucher. Une excuse afin de pouvoir pénétrer son espace personnel. Jouant sur la familiarité pour voir jusqu'où il m'autoriserait à aller. Aussi imprévisible qu’un lion affamé, il était peut-être craint de tous les autres ; mais il ne m’avait jamais sauté à la gorge, seulement léché, et, même si sa langue était un peu rugueuse, cela valait le coup de marcher aux côtés du roi de la jungle.
Je ne peux pas revivre ça.
Je venais à peine de subir la mort de ma sœur. Regret après regret. Des opportunités que je n’ai pas su saisir. Des mauvaises décisions que je n’ai cessé d’accumuler. Pour finir le chagrin.
Combien de personnes devront mourir pour que j’apprenne à vivre? Il avait raison. J’étais une catastrophe ambulante. Je fouille mes poches à la recherche de mon téléphone. La première chose que je fais est appeler le portable de Barrons. Pas de réponses. J’appuie sur SVNPPMJ. Toujours pas de réponses. J’appelle SVEETDM et retiens mon souffle, tout en regardant Barrons attentivement. Aucune réponse.
Comme l’homme lui-même ; toutes les lignes sont mortes.
Je commence à trembler. Je ne sais pas pourquoi, mais le fait qu’aucun des téléphones n’ait répondu me fait prendre conscience plus que tout, qu’il n’est plus à portée de mains. Que je l’avais vraiment perdu.
Je fais basculer ma tête vers le bas, rassemble mes cheveux vers l’avant, et bien qu’il me fallut plusieurs essais avant de trouver le bon angle, je pu avoir un aperçu de ma nuque. En effet, il y avait bien deux tatouages. La marque de Barrons représente un dragon avec un Z en son centre qui brille avec une légère incandescence .
A droite de celui-ci, se trouve un cercle noir remplit de symboles que je ne reconnaissais pas. Il semblerait que Ryodan disait la vérité. Si le tatouage avait été mis ici par le HS, cela expliquait beaucoup de choses : pourquoi Barrons avait autant protégé le sous-sol où il avait réussi à me faire revenir de mon état de Pri-ya, comment le HS m’avait trouvé à l’abbaye une fois que les gardes avaient sauté, qu’il m’avait aussi découverte avec Dani dans la maison dans laquelle on avait pris lieux, pour finir qu’il m’avait suivi jusque chez mes parents à Ashford.
Je sors le petit couteau que j‘avais volé chez BB&B.
Mes mains tremblent.
Je pourrais mettre un terme à la douleur que je ressens. Je pourrais me saigner à blanc et me pelotonner contre lui. Ce serait rapide. Peut-être que j’obtiendrais une nouvelle chance ailleurs et dans un autre temps. Peut-être que lui et moi nous réincarnerons comme dans ce film, What Dreams May Come, qu’Alina et moi avions tellement détesté à cause de la mort des enfants et du mari, suivie par le suicide de la femme.
Maintenant, j’aime ce film. Je le comprends, l’idée de vouloir aller en enfer pour rejoindre quelqu’un. Vivant là-bas, fou si vous le devez, parce que vous préfériez être fou auprès d’eux plutôt que d’endurer la vie sans eux.
Je lorgne des yeux la lame.
Il est mort pour que je puisse vivre.
- Soyez maudit! Je ne veux pas vivre sans vous !
C’est la manière dont vous allez de l’avant qui fait ce que vous êtes.
- Oh, fermez-là, voulez-vous? Vous êtes mort, alors fermez-là!
Je suis là fille qui avait crié « au loup ».
Je suis celle qui avait composé SVEETDM. Celle qui n’avait pas cru qu’elle aurait pu survivre contre un sanglier toute seule. Et vous voulez savoir quoi?
J’avais survécu.
Je l’avais repoussé et était en sécurité avant que Barrons n’arrive et ne saute sur l’animal. Je n’avais pas été vraiment sur le point de mourir, après tout. Il est mort pour moi et cela n’avait pas été nécessaire.
J’avais agi sans réfléchir.
Et maintenant il est mort.
Je fixe des yeux le poignard. Me tuer ne serait que récompenser ce que j’avais fait. Je méritais uniquement d’être punie.
Je jette un coup d’œil à l’arrière de ma tête. Si le Haut Seigneur me trouvait là, maintenant, je ne suis pas sûre que je me battrai pour ma vie. J’envisage de faire de la chirurgie sur mon crâne, puis je réalise que je ne suis pas dans le meilleur état d’esprit pour entreprendre ce genre de choses. Je ne m’arrêterais sûrement pas. C’est trop près de ma colonne vertébrale. Trop facile pour se mettre hors-jeu.
Je jette le poignard dans la boue avant de le retourner contre moi. Qu’est-ce que ça ferait de moi? Qu’il se fasse tuer, et qu’ensuite je me tue? Tout simplement, une trouillarde. Et encore, ce n'est pas ce qui me dérange le plus. C’est-ce que ça signifierait pour lui qui me dérange - qu’il serait mort pour rien.
La mort d’un homme tel que lui valait plus que ça.
Je ravale un autre cri. Il est maintenant piégé à l’intérieur de moi, niché dans mon ventre, me brûlant le fond de la gorge, rendant douloureux le simple fait d’avaler ma salive. Je l’entends raisonner dans mes oreilles bien que ma bouche ne produise aucun son. C’est un cri muet. Le pire de la sorte. J’ai vécu avec ce genre de cri avant, pour éviter que Maman et Papa s’aperçoivent combien la mort d’Alina me tuait. Je sais ce qui suit juste après, et je sais que ce sera pire que la dernière fois. Que je vais être pire. Encore bien pire.
Je m’agenouille auprès de son corps nu, en sang.
La transformation d’homme à bête a dû réduire en lambeaux ses vêtements, et exploser le bracelet en argent qu’il portait à l’un de ses poignets.
Son corps est tatoué de runes protectrices noires et écarlates sur presque les deux-tiers de sa peau.
- Jéricho, dis-je. Jéricho, Jéricho, Jéricho.
Pourquoi ai-je toujours dit son nom à contrecœur ? « Barrons » était un mur de pierres érigé entre nous, et si la moindre fissure apparaissait, je me précipitais pour la boucher avec ma peur.
Je ferme les yeux et m’arme de courage. Quand je les rouvre, j’enveloppe la lance de mes mains et essaye de la retirer de son dos. Elle ne veut pas sortir. Je dois me battre pour qu’elle ressorte.
J’arrête. Je recommence. Je pleure.
Il ne bouge pas.
Je peux le faire. Je sais que je le peux.
J’arrive à libérer la lance.
Après un long moment, je le retourne. S’il y avait des doutes sur le fait qu’il n’était pas mort dans mon esprit, ils s’évanouirent. Ses yeux sont ouverts. Ils sont vides.
Jéricho n’est plus.
Je fais appel à mes sens pour sentir le monde alentour. Je ne capte pas sa présence, seulement rien.
Je suis seule sur cette falaise.
Je n’ai jamais été aussi seule.
Je tente de le ramener à la vie avec tout ce qui me passe par la tête. Je me souviens du morceau de chair Unseelie que nous avions fourré dans mon sac à dos. On était à l’arrière de la librairie et je m’apprêtais à faire face au Haut Seigneur. C’est comme si cela faisait une éternité que ça c’était passé. Le plus gros de ce qui reste est encore intact. Si seulement j’avais su ce que maintenant je sais, après l’avoir vu mourir ! Que la prochaine fois que je verrais Jéricho Barrons, il serait mort. Que « et la Lamborghini » seraient les derniers mots que jamais plus je ne l’entendrais dire, avec ce sourire carnassier de loup, et cette promesse que je l’aurais toujours sur mon dos, comme un second souffle, me protégeant.
Le morceau de chair du rhyno boy, hachée menue, frétillait encore dans le petit-pot pour bébé où il était emprisonné. Je le mets de force entre ses lèvres gonflées, ensanglantées et maintiens sa bouche fermée. Quand il sort en rampant de son entaille au niveau de son cou, le cri que je contenais faillit me rendre sourde.
Je ne pense pas clairement. La panique et la douleur prennent le dessus. Barrons dirait : ce ne sont que des émotions inutiles, Mademoiselle Lane. Surmontez-les. Arrêtez de pleurnicher et bougez-vous.
J’essaye de remettre ses entrailles dans son corps, les assemble dans un semblant d’ordre, vaguement consciente que cela n’était pas très normal, ni une chose très saine à faire.
Une fois il a dit : Regardez-en moi, voyez jusqu’où vous pouvez aller. Avec mes mains sur sa rate, pensais-je, j’y suis, dans les profondeurs extrêmes de son corps. Trop petite, et surtout trop tard.
Je garde sa bouche ouverte à l’aide d’un bâton, m’entaille le poignet, et fait tomber des gouttes de sang dans sa bouche. Je dois couper profondément pour arriver à obtenir quelques gouttes et dois recommencer parce qu’à chaque fois la blessure cicatrise d’elle-même. Ça ne fait qu’empirer son état et le rendre encore plus poisseux de sang. Je cherche, pour voir s’il n’y a pas une magie qui pourrait le guérir, dans ma tête où se trouve le centre de mes capacités Sidhe-Seer. Je ne possède rien pour ce genre de situations.
Je suis soudainement furieuse.
Comment peut-il être mortel ? Comment ose-t-il être mortel? Il ne m’a jamais dit qu’il était mortel ! Si j’avais su je l’aurais peut-être traité différemment !
- Debout, debout, debout, criai-je.
Ses yeux sont toujours ouverts.
Jamais je ne fermerais les yeux de Jéricho Barrons. Ils étaient grands ouverts quand il vivait. Il les voudrait ouverts même mort. Les rituels ne serviraient à rien pour lui. N’importe où Barrons est, il rirait si j’essayais quelque chose aussi prosaïque que des funérailles. Trop insignifiants pour un tel homme.
Le mettre dans une boîte? Jamais.
L’enterrer ? Pas question.
Le brûler?
Ça, aussi, serait une forme d’acceptation. Admettre qu’il était passé de l’autre côté de la ligne qui sépare le monde des vivants et celui des morts. Ce qui n’arrivera jamais.
Même mort il a l’air invincible, avec son corps imposant aux tatouages écarlates et noirs tel un héros géant, tombé au combat.
Je m’installe sur le sol, lève gentiment sa tête, jouant de mes jambes en dessous et berce délicatement son visage dans mes bras. Avec mon tee-shirt et les larmes brûlantes qui ne cessaient de couler, je lui ôtai les saletés et le sang en le nettoyant tendrement.
Son beau visage, sévère, interdit.
Je le touche. Parcours chacun de ses contours avec mes doigts, encore et encore, jusqu’à ce que je m’imprègne de chaque nuance, surface et angle, jusqu’à ce que je puisse le sculpter les yeux fermés.
Je l’embrasse.
Je m’allonge et m’étends près de lui. Je presse mon corps contre le sien et le prends dans mes bras. Je le serre comme jamais il ne m’avait été permit de le tenir de son vivant. Je lui confie tout ce que je ne lui ai jamais avoué.
Pour un temps, je n’avais pas la moindre idée où son existence avait pris fin et naissait la mienne.